France Culture, "Science et conscience", "La Fabrique de l'humain par Philippe Petit", émission du 01.02.2007 avec Michel Bitbol (Directeur de recherche au CNRS , aux Archives Husserl de l’ ENS à Paris).
La naissance de la mécanique quantique au début du XXème siècle inaugure une révolution scientifique dont les physiciens et les philosophes sont encore aujourd'hui redevables et tributaires. Le bouleversement provoqué par les théories quantiques a souvent tourné en querelles d'écoles. Et il n'est pas aisé de spécifier la nature de l'ébranlement conceptuel qui fut la conséquence des découvertes de Max Planck, Albert Einstein, Niels Bohr, Louis de Broglie, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, et quelques autres. En effet, avant que n'émerge un formalisme autonome, la physique quantique fut fondée sur le « principe de correspondance » exigeant que les résultats de la nouvelle théorie coïncident, dans une limite convenable, avec ceux de la physique classique. La différence entre la première et la seconde n'avait pas la clarté qu'on lui prête aujourd'hui. La physique classique avait la prétention de décrire ce qui se passe dans la nature point par point. L'état d'un ensemble de corps était alors spécifié par l'ensemble des états individuels de ses corps. La physique quantique est en un sens plus modeste, mais aussi plus inquiète. « La meilleure connaissance d'un tout n'implique pas la meilleure connaissance de ses parties - et c'est ce qui ne cesse de nous hanter », écrivait Schrödinger en 1935. La physique quantique se base en effet sur des probabilités dont la seule vocation est d'obtenir des résultats lors d'une mesure, elle calcule des probabilités dans un contexte local - le laboratoire - qui fait partie de son mode de théorisation. Est-ce à dire que la propriété de l'objet quantique n'est rien d'autre que le produit de la relation entre l'objet et l'appareil ? Est-ce à dire que le processus de la connaissance et l'objet dont elle rend compte ne peuvent être dissociés ? Un abîme en tout cas sépare la manière dont le physicien construit une objectivation et la manière dont il conçoit l'objectivité. La physique classique cherchait à décrire la nature. La physique quantique cherche à prédire des évènements. Cette prédiction n'est pas la représentation d'un processus naturel indépendant de l'expérimentateur qui lui ferait face, elle est l'expression de la participation de l'expérimentateur à un devenir qui l'englobe. Exit la la philosophie spéculaire ! Le grand livre de la Nature se retourne contre son lecteur ! Et la question de savoir s'il existe des preuves indubitables de l'existence des images corpusculaires/onduladoires mises en oeuvre par ce nouveau Faust quantique n'est peut être plus à l'odre du jour ? Voici quelques questions qui méritent bien une heure de peine...."